20 janvier 2024

En termine-t-on avec l'odyssée Horcynus Orca ?

Après trois bons (dans tous les sens du terme) mois de navigation,

dernière page de Horcynus Orca tournée, dernière phrase lue gorge nouée, phrase inoubliable, conduisant à approuver ce qu'en dit Roberto Saviano :

Phrase inoubliable, scène inoubliable, à l'égal du roman dans son entier --  trois bons mois... ailleurs.
On ne s'en serait pas/plus cru capable.
Car Horcynus Orca est un sacré voyage, un voyage au long cours - ne pas se leurrer.

Certains semblent l'avoir compris rien qu'en prenant l'ouvrage en mains (à défaut d'à bras-le-corps ?) : 


Oui, bon, plutôt être aveugle que de lire la chronique ci-dessus dans L'Obs (mini-chronique au demeurant, très très mini - on l'a lue, qui nous interroge : Didier Jacob a-t-il seulement lu Horcynus Orca ? On se prend sérieusement à en douter -- aparté : si j'étais payé pour faire des notules en ne lisant que la 4e de couv et en soupesant les bouquins, je serais riche)

On se permettra donc de lui opposer ce qui va suivre, déniché dans L'échec Comment échouer mieux (Claro -- éditions Autrement 2024) sur lequel on ne manquera pas de revenir... sous peu : 


Bref : Horcynus Orca, après avoir été taxé d'intraduisible, serait-il... illisible ?

Convoquons Antonio Werli, l'un des deux traducteurs :
"Plusieurs observateurs ont ainsi comparé cette oeuvre à la mer : la forme du récit, fertile en digressions et en flash-backs [...] le bain linguistique dans lequel apprend à se repérer le lecteur..."
Le bain linguistique dans lequel apprend à se repérer le lecteur.

Précisément.
Horcynus Orca demande d'avoir le pied marin (on va expliquer).

Postulat de base tout de même : on ose espérer que si vous avez acquis l'ouvrage, ce n'est ni pour caler un meuble ni pour en faire un banal serre-livres sur vos Billy (n'est-ce pas Didier Jacob ?)

Sachez donc que :


Vous êtes avertis, et un lecteur averti, etc.

 (Et si vous êtes néanmoins convaincu que ceci n'est pas pour vous ((je n'ai pas pu résister à la faire, celle-là)), lisez la chronique de Caroline Hoctan -- ça, c'est une chronique -- tout autant que celle de Pierre Ahnne)


Pied marin, donc.

Au début, vous, comme nous, allez ramer.
Principalement par manque ou perte d'habitude des romans de plus de 300 pages, mais aussi en raison du style, de la langue, des langues devrait-on dire ( et vous allez en apprendre une foultitude, tiquer sur ce qui ressemble à une coquille, ressemble a priori à une coquille -- rien n'est certain ni acquis d'avance dans Horcynus Orca)
Ah.
(on va prendre un exemple)


Le passage ci-dessus n'est que la partie émergée de l'iceberg -- on est au début de l'énormeroman -- mais notez le malagauche. Vu ? (il y en a d'autres du même acabit, on ne les citera pas tous, on vous laisse le plaisir de les découvrir -- sachez qu'ils sont tous parlants !). Maintenant, lisez l'extrait en entier.
N'y sentez-vous pas un... mouvement ? Un rythme ?
Est-ce que ça ne ressemblerait pas à... la marée ?
On a déjà évoqué ceci ici

Des ondulations de cette sorte, Horcynus Orca en regorge.
Et vous vous y habituerez, vous laisserez porter, vous aurez le pied marin -- et point de vogue la galère, ici, plutôt une croisière de... rêve (et de rêve il est maintes fois question).

On ne vous apprendra rien (du moins on le suppose) que la mer et la mort baignent ce roman -- pardon : cette odyssée.
La guerre aussi : suggérée, contextuelle d’abord, elle ne révèle son horreur que dans les dernières pages où sont d’ailleurs « rappelés », en partie, les principaux protagonistes — procédé théâtral ? À l’égal de la tragédie italienne des XVIe et XVIIe ?
Le rêve y a aussi une part importante.
Et le temps, comme s'il naviguait aussi, afflue, reflue, parfois au sein d’une même phrase. À l’égal d’un rêvéveillé dans lequel la réalité fait un pas de côté puis regagne (ou pas) le droit chemin. 
Antonio parlait de flash-backs : on ne peut plus vrai ; mais il y a aussi des flash-forwards, au coeur d'une phrase, d’un long passage — les temps varient alors, se mêlent, s’emmêlent, s’en mêlent  et, oui, dérivent. On l’a dit. 
Roman-océan.

D'Arrigo y convoque Homère et son Odyssée, la revisite, la tord à sa langue (ah, Ciccina Circé), on pense aussi à Joyce (en nettement plus abordable - lisible si l'on peut dire - à l'abordage !), à Gadda, on pense par moments au Against the Day de Pynchon, et on en oublie.

Qu'on ne se méprenne pas, il ne s'agit pas d'un patchwork, mais bel et bien d'un tout doté de sa propre, disons, personnalité, ou style, poésie, humour (dialogues croustillants), de son langage, dialecte, sa rythmique, ponctuation et de... sa symbolique.

Sa symbolique.

C'est précisément là qu'il faudrait creuser, lire, relire, les lignes, entre les lignes, chercher les indices...
Une vie y suffirait-elle ?
Une thèse ?

Vous l'aurez compris.

Après trois bons (dans tous les sens du terme) mois de navigation, une fois la dernière phrase lue, on n'en a pas terminé pour autant avec Horcynus Orca.
Ce roman gravé dans ses lecteurs.
Il y en a peu de cet acabit.
Grâce en soit rendue à Antonio Werli, Monique Baccelli et au Nouvel Attila.




Horcynus Orca — trad : Monique Baccelli et Antonio Werli, 1372 pages, 39 euros 90 — le Nouvel Attila — octobre 2023

-- la suite sous peu




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