4 avril 2009

Daniel Sada - L'Odyssée barbare : note de lecture#5

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...maintenant !



*Première période
--chapitres douze à dix-huit.

On entre de plein pied dans ces chapitres conduisant à la fin de la première période, de plein pied mais par une porte dérobée, entraperçue au chapitre un : une histoire qui n’avait alors « pas d’importance ».
« l’un d’entre vous, camarades, connait-il le nom et l’origine du chauffeur de la camionnette qui a amené les cadavres ? » (p.60)

Le mensonge, les histoires, étant, on l’a vu, un des éléments de la trame de cette première période, arrive ce qui devait arriver : un bonimenteur patenté s’approche alors sous les regards méfiants des villageois venus écouter le discours mégaphoné d’un certain Néstor Bores. Méfiants, les regards, car :
« On en devine la raison : tous s’attendaient à des distorsions, des inventions, des extravagances » (p.60)

[Les habitants de Remadrin ne sont pas les seuls : le lecteur est dans le même cas, il est désormais entrainé, il a appris à se méfier, lui aussi. ]

S’en suit alors une cacophonie de papotages alambiqués, de précipitation, comme si chacun oubliait aussitôt sa méfiance pour céder à un penchant naturel pour…les histoires ; si possibles embrouillées en vibration de sens entremêlés (souvenez vous…) – pour preuve, on passe de la question initiale de Néstor Bores (le nom et l’origine du chauffeur) à la recherche du nom du propriétaire de la camionnette, pour finir par estimer le maire coupable de la tuerie.

Au cœur de ce ramdam, Cécilia espère des nouvelles de son mari, de ses fils, cherche à se faire une idée par elle-même.

Contraste : Bores affirme que l’ordre de tuer venait de plus haut ? Nouvelles tentatives bruyantes, « fadaises, chichis, rodomontades, galéjades faciles, ou faux-fuyants geignards ».
Jusqu’à un moment, ou plutôt une phrase décisive.
Lancée à grand renfort de mégaphone par Bores.
Et écrite en majuscules :
« LE MAIRE N’EST PAS COUPABLE. LE COUPABLE, C’EST LE SYSTÈME ET LUI N’EST QU’UN PETIT ROUAGE À L’INTÉRIEUR DE LA GRANDE MACHINE ! » (p.66)

Cette exclamation, outre qu’elle constitue une dénonciation, proférée à voix plus que haute, réveille le lecteur. On ne peut alors s’empêcher de se remémorer le passage auquel on avait trouvé des accents flaubertiens, au chapitre 6 :
« Ceux qui étaient assis se levèrent »

À la même page, d’ailleurs, une autre phrase fait mouche – peut-être bien un écho déformé de la phrase majuscule, en moins tonitruant :
« le mauvais côté de la raison, c’est qu’elle se manifeste toujours trop tard… » (p.66)

Quoi qu’il en soit, la discussion durera six heures…

On en revient ensuite aux noces d’argent de Cécilia et Trinidad, dont on a déjà parlé (cf. ici et ici) avec son inévitable photo souvenir, figée sur ce présent que l’on
« regardera plus tard, bien plus tard (…) à la dérobée » (p.71)

Pendant ce temps plus tard, les cris et algarades se poursuivent jusqu’à ce qu’un homme, Conrado Lua, assis sur un banc, un homme en marge de l’agitation ambiante, se révèle être le seul à détenir l’information, les informations que tout le monde cherchait.
Parce qu’il était à l’écart du bruit, des rumeurs, en marge de « l’attroupement des idiots » ?
En marge dans ce temps-ci, mais au cœur des distorsions, inventions, etc. dans la période suivante, on le verra.

Lorsque Cécilia rentre enfin chez elle, se produit ce qu’il est possible de qualifier de « jonction des récits » : l’espace d’un instant, le temps se croise : Conrado repart pendant que Trinidad rentre. Ce « presque miracle » est décrit de la façon suivante :
« les deux hommes se croisèrent face à face (…) On aurait dit la rencontre de deux fantômes ? Fugacité sans surprise : Conrado partait, Trinidad rentrait. »

Fantômes, revenants, spectres (cf. chapitre 7)

Conrado partait : sauf qu’il va précisément entrer dans la deuxième période.

Trinidad rentrait : sauf qu’il va rester – pour un temps ? – dans cette première période.

À la fin de celle-ci, une scène semble également révélatrice de tout ce que l’on vient d’apprendre quant à la façon d’aborder le(s) récit(s) de L’Odyssée Barbare : Cécilia range des photos, tente de les remettre en ordre.
Fragments toujours.
De même, le chapitre dix-huit semble opérer une fusion des fragments de temps, être le point de convergence des 80 et quelques premières pages.
À ce stade, et vu ce qui s’y produit, ou va s’y produire entre les deux époux enfin réunis, on ne peut que s’éclipser sur la pointe des pieds.
Retrouvera-t-on Cécilia et Trinidad dans une prochaine période, ou ne sont-ils qu’une photo que l’on regardera « plus tard, bien plus tard (…) à la dérobée » ?

Curieuse impression, au terme de cette première période, que d’avoir appris à lire dans les reflets d’un miroir brisé.
Chaos étoilé, disait Bartleby

La suite sous peu.

1 commentaire:

Single up all lines, Chums !