3 août 2008

Use(ful) Internet (ou T.P. ? Vu ! II le retour)

On aura beau dire, Internet est un outil formidable pour gérer sa bibliothèque.
Plus précisément : un magnifique générateur de coïncidences.
Ou un régénérateur de mémoire.
Explications.
Cherchant une illustration à tout le moins improbable pour ce papier à tout le moins improbable, voici que je tombe sur Player Pianoblog.
Figurez-vous que Odot y relevait déjà, le 10 juillet 2007, une nouvelle apparition de Thomas Pynchon dans "Un requin sous la lune", de Matt Ruff (la première ayant déjà été signalée ici-même il y a peu). A la seule différence que Odot, lui, évoquait la VO.
Bon.
On pourra donc se référer à lui pour obtenir le texte original de la traduction française qui suit :
" 1969 : Le singulier destin de l'Anium Otter ( . . . )
L'idée était venue à Howard Hugues durant le glissement paranoïaque de ses dernières années. Après avoir vu un documentaire sur la cryptozoologie - l'étude des animaux qui apparaissent en des endroits inattendus - il élabora un stratagème pour transplanter secrètement un troupeau de kangourous d'Australie sur les mauvaises terres du Dakota du Sud. Il était parvenu à se convaincre - des années d'abus de codéine n'y étaient peut-être pas totalement étrangères - que l'apparition des kangourous autour de Rapid City déclencherait un "incident cryptozoologique international" qui coûterait au gouvernement américain plusieurs millions de dollars d'enquête, vidant ainsi les caisses du Trésor et imposant des restrictions de salaires à l'Internal Revenue Service. Hugues détestait les impôts, et l'idée qu'une bande de marsupiaux puisse priver le personnel de l'IRS de son treizième mois le rendait plus heureux qu'un plein seau de sirop pour la toux.
Début 1968, Hugues téléphona à Delvin Dummar - un brave pompiste qui l'avait pris en stop une fois au milieu du désert - et lui confia son plan. Dummar y vit un coup de pur génie, mais ajouta qu'il lui faisait penser à un roman qu'il n'avait pas lu mais dont il avait entendu parler, où des égoutiers mormons affrontaient des alligators albinos sous les rues de Salt Lake City. Un roman ? se dit Hugues, et quelques bonds de son imagination renforcée par les narcotiques le persuadèrent aussitôt que les Fédéraux, l'ayant espionné, l'avaient percé à jour et s'étaient dépêchés d'imprimer cette histoire pour se moquer de lui. Il demanda le nom de l'auteur à Dummar, qui parvint tant bien que mal à se le rappeler.
De retour à l'hôtel Desert Inn à Vegas, Hugues dessina vite fait les plans d'un gigantesque sous-marin de transport et engagea un chantier naval deDétroit pour le construire. La coque du submersible devait être composée d'un mélange de titane et de germanium, alliage ultra-résistant baptisé simplement anium : d'où le nom du sous-marin. Le 30 novembre 1969, l'Anium Otter - la Loutre d'Anium - était lancé dans le lac Erié avec un plein chargement de kangourous et Hugues aux commandes.
Le 8 décembre (ils avaient perdu un peu de temps pour faire passer discrètement le sous-marin par le canal d'Etat de New York), un cultivateur de marijuana de Finger Lakes du nom de Thomas Pinch fut réveillé en pleine nuit par un bruit de galopade. S'imaginant, à l'instar d'Hugues, que le gouvernement avait eu vent de ses activités, il décrocha son fusil à pompe et sa robe de chambre à carreaux et fonça jusqu'à la porte de sa cabane, pour découvrir qu'une quarantaine de kangourous s'étaient introduits dans ses plantations couvertes et mâchouillaient tranquillement sa récolte. Quand l'un deux, particulièrement costaud et titubant, se mit à décocher des jabs dans sa direction, Thomas Pinch se verrouilla à l'intérieur de sa cabane, non sans qu'un Hugues hilare ait eu le temps de le prendre au flash sur son polaroid.
Aux premières lueurs de l'aube, le troupeau avait disparu - ainsi que le quart d'un hectare de cannabis d'hiver - mais pas sans laisser de traces. Thomas Pinch suivit les nombreuses empreintes de kangourous jusqu'au bord du lac. La piste sortait de l'eau, elle retournait dans l'eau.
La vache, se dit Pinch, jamais personne n'ira croire une histoire pareille. Naviguant entre deux eaux au large de Taughannock Point, Howard Hugues gloussa et s'alluma un joint.
Ce fut l'IRS qui rit le dernier. Nul ne sait ce qu'il advint des quarante kangourous, mais après la mort d'Hugues en 1976, l'Anium Otter fut vendu aux enchères pour payer les 77% de droits de succession sur son héritage. Il fut acheté par un certain Dobi Khashoggi, le troisième cousin en disgrâce du trafiquant d'armes saoudien Asnan Khashoggi, qui comptait le revendre au Moyen-Orient. Plusieurs scheiks arabes exprimèrent de l'intérêt pour le sous-marin mais Adnan, par pure mesquinerie, se débrouilla pour faire capoter toutes les tentatives de transaction jusqu'à ce que Dobi soit complètement humilié aux yeux de la famille. C'est ainsi que la dernière invention d'Hugues - qui désormais tenait davantage de l'albatros que de la loutre - passa les trente-huit années suivantes conservée dans une gigantesque cuve de cambouis sur les docks de Motown, où Morris Kazenstein la découvrit.
A cette époque, les descendants du malheureux Dobi furent trop heureux de se débarrasser de ce audit submersible, en particulier aux dépens d'un juif, et ils le lui cédèrent pour une bouchée de pain.
Le cliché polaroid qu'avait pris Hugues fut oublié à bord, où il resta durant tout le temps de sa cale sèche. Au cours du laborieux processus de transformation qui allait faire de l'Anium Otter l'encore plus improbable Yabba-Dabba-Doo, Morris trouva la vieille photo coincée dans le logement du périscope. Il l'offrit à sa chef mécanicienne, Irma Rajamutti, diplômée de l'université de Bombay, qui avait suivi un double cursus en mécanique appliquée et en littérature excentrique. Après l'achèvement des travaux sur le sous-marin, Irma épingla la photo sur le mur de la salle des machines. Quand on lui demandait qui était ce type en robe de chambre, elle répondait simplement : "J. D. Salinger".
Ayant déjà été pris pour un autre, et de quelle manière, Thomas Pinch n'y aurait probablement rien trouvé à redire."

[Matt Ruff - Un requin sous la lune - pp 154 à 158 - folioSF 173 - avril 2004]
Bien.
Comparant la VF à la VO, on ne manquera pas de remarquer, sur le blog du susdit Odot, qu'il annonce la parution imminente, à l'époque, de Bad Monkeys, également de Matt Ruff.
Par curiosité, j'entreprends donc une nouvelle recherche.
Et tombe sur le site de Matt Ruff.
(En passant, si quelqu'un se sent de translater en french Fool on the Hill, qu'il ne se gène surtout pas - il serait temps !)
Là, pas franchement d'illustration pouvant me servir (i.e : aucun kangourou ni Pynch en robe de chambre à carreaux) mais la photo de l'auteur.

"Déjà vu cette tête... Mais où ?"
Et un titre : Set This House in Order"
Qui me parle.
Prosper ! (Youla boum !) Nouvelle recherche.
Jed La Chance : La proie des âmes.
La proie des âmes ?
(la scène suivante a été filmée au ralenti afin qu'aucune des cascades éxécutées pas l'esc@rgot en personne, sans doublure, ne vous échappe)
Arrachage au canapé moite poisseux collant (canicule oblige) d'un bond. Rétablissement sur le carrelage frais - si peu. Pivot en appui sur le pied droit, regard laser en direction de la babelothèque, scanner des étagères, lancer de main droite, adroite, précise tel un tir de sniper fou. Tchak ! Volume en main.
Incroyable mais vrai : cela fait exactement plus d'un an que La proie des âmes est là, acheté sur les conseils d'un des membres de Fluctuat.net
Et : Je. Ne. L'ai. Toujours. Pas. Lu.
Et : Je. L'avais. Oublié.
Et dire que si je suis plongé dans Un requin sous la lune, c'est justement grâce à Odot, pour lequel il s'agit-là du meilleur Pynchon-like !
Franchement : si vous n'avez pas de tête, entreprenez des recherches sur Internet pour découvrir que le résultat est juste derrière vous.

(à toutes fins utiles, cette histoire est authentique et dâtée d'aujourd'hui même, 3 aout 2008, à 15 heures.)
Du coup, il ne me reste plus qu'à me procurer Bad Monkeys.

La suite sous peu.

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