18 mars 2009

Daniel Sada - L'Odyssée barbare : note de lecture#1

Que l'on ne se méprenne pas, il n'est pas question ici de revenir sur ce qui a déjà été dit sur L'Odyssée barbare de Daniel Sada par certains des Chums of the Club, ni de couper l'herbe sous le pied des autres Chums qui ne manqueront pas d'en dire quelque chose (par ici entre autres).
Ce qui va suivre n'est rien d'autre qu'un simple, très banal journal de lecture, au rythme de la lecture, avec son lot d'approximations, de suppositions fumeuses, de contradictions d'un chapitre à l'autre.
Ce qui va suivre s'inscrit davantage dans la lignée des cartes postales de l'été 2008, cartes postales de lecture de 2666 de Roberto Bolaño.
Une différence cependant : impossible de garantir une telle régularité, ni une telle rapidité dans les notes de lectures de L'Odyssée barbare.
Absence de congés oblige.
Autres points à ne pas négliger :
1/ que ceux qui souhaitent avoir une vision d'ensemble afin, éventuellement, de se procurer, L'Odyssée barbare, aille voir chez Bartleby qui ouvre de plus en plus les yeux d'être devenu une star en l'espace de quelques jours.
2/ on tentera de ne pas trop en dévoiler non plus, histoire de ne pas gâcher le plaisir du clan des 1/
3/ je ne suis pas le premier à entreprendre ce genre de choses au sujet de ce livre. Un certain A.W l'a fait lui aussi (ici et ici, ou l'inverse) - il y reviendra, à plus d'un titre, on peut lui faire confiance.
Compte tenu de tout ce qui précède, je ne présenterai pas Daniel Sada puisque vous n'avez qu'à suivre les infolinks.
Le début va donc paraître un tantinet abrupt.
D'ailleurs, c'est maintenant !
Juste après la couverture de "Porque parece mentira la verdad nunca se sabe" [pour une explication quant à l'étrangeté de la translation vers le french, qui a fait grincer certaines dents, voir toujours chez Bartleby.]



Le chapitre un de la Première période de L'Odyssée barbare raconte le début d'une histoire.
On pourrait, à juste titre, opposer que cela n'a rien de bien exceptionnel.
Effectivement, puisque tout y est : un évènement qui déclenche le début d'une quête, l'introduction de quatre personnages et une fin suffisamment ouverte.
Ce serait omettre une chronologie bouleversée, des bribes d'informations futures ou passées semées ici ou là à l'aide d'un temps à géométrie variable, ou plutôt à contre emploi, des manques, des trous, des absences (ici, le lien avec Bolaño, qu'il n'est plus la peine de rappeler, se comprend : les deux auteurs auraient-ils le même goût pour les fragments ?) A tel point que l'on se demande si l'on n'aurait pas râté quelque chose. Le premier indice intervient à peine trois pages après le début :

"Pour être plus clair, on en revient à ce qu'on sait"

Autre indice :
" Ce que le mari savait - sapristi - était une pelote grossière de fils tirés à l'aveuglette, réels : peut-être ? rêvés : ratés ? Histoire virtuelle d'un épicier auquel ses clients viennent raconter des bobards gros comme leur désoeuvrement et lui se laisse séduire tant qu'il en a le courage".

Là, on tique sérieusement : ne serions-nous pas cet épicier ?
Puis reviennent en mémoire les incipits, présentés par Daniel Sada comme des "réflexions entendues" :
« Dieu créa le monde parce qu’il aime les histoires –
Réflexion entendue au café La Blanca dans le centre historique de Mexico.
[Là, on repense à une phrase de Autres électricités de Ander Monson :
"L'espace d'un instant il pense que le monde pourrait être une vieille radio énorme, vivante et électrique, pleine de voix et de friture, de stations se mêlant les unes aux autres. [...] le signal se faisant entendre clairement puis se diluant dans un silence rempli de friture avant de reprendre."

p.82 in Une vieille radio énorme ]


"La vérité c’est comme du mensonge, on n’en sait jamais rien –
Réflexion entendue à la gare routière de Culiacán, Sinaloa. »


Advient alors ce qui devait : on relit.
En tentant plus ou moins de reconstituer une chronologie rationnelle : les cadavres attendus depuis midi arrivent à 3 heures de l'après-midi, il faudra plus de trois heures pour les décharger, la camionnette repart à minuit.
Mais où l'affaire se corse, c'est que l'on repart deux jours avant (passage raconté au présent) pour mieux revenir ensuite à cette fin ouverte...au passé simple et conclue par un "etc."
C'est là, qu'on relit une troisième fois pour s'apercevoir que Daniel Sada s'est peut-être bien adressé indirectement aux lecteurs, de façon plus insidieuse - farceuse ? - que "Pour être plus clair".
Tout laisse à penser que ce chapitre regorge de pistes :
"en suivant bien entendu scrupuleusement les indications une à une, ce qui s'avèrerait fort compliqué si on n'avait pas sous la main un croquis de référence : ne serait-il pas judicieux d'en dessiner un, le plus clair possible, avec des flèches dans tous les coins [...]"

On remarquera l'opposition entre "le plus clair possible" et "des flèches dans tous les coins".
Après réflexion, il est fort possible que le passage ci-dessus ne soit rien d'autre que la trame improbable du roman dans son entier. Fin incluse :
"Probablement tout fut réduit à une rumeur, une vibration de sens enchevêtrés, une brise vénielles...finalement, etc."

Et de nouveau, on repense à Bolaño et sa "poétique de l'inconclusion" évoquée dans "Le secret du mal".
Quelque chose de troublant, également : Trinidad fait la sieste tous les jours, "la sieste rêvée", mais a priori, puisque tout semble indiquer qu'il ne parvient pas à la faire, d'où lui vient ce cauchemar, dans les premières pages ?


Tout cela est-il réel : peut-être ? Une histoire virtuelle faite d'une vibration de sens enchevêtrés...finalement, etc.
"L'écho lui en parviendrait-il ?"
Lui...
Le lecteur ?
Au terme de ces quinze premières pages, il éprouve en tout cas bel et bien l'envie de démèler la "pelote grossière", les "sens enchevêtrés", armé d'un "croquis de référence" avec "des flèches dans tous les coins."

La suite sous peu. [note de lecture#2]

6 commentaires:

  1. J'aime tes cartes postales parce que ça met toujours le doigt où il faut. Rien n'échappe à l'escargot...

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  2. Merci du compliment, Bartleby. Mais il m'a quand même fallu trois lectures de ces 15 premières pages. Qu'on ne croit pas pour autant que L'Odyssée barbare soit d'un abord difficile. Disons que si on tique, et si on a l'envie de faire l'effort de relire, ce qui revient en quelque sorte à prendre son temps, on ne peut que l'apprécier.
    Peut-être changerai-je d'avis après avoir tout lu.
    Peut-être pas.
    Plus que jamais : la suite sous peu.

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  3. Le début est perturbant et j'ai relu ce chapitre deux ou trois fois aussi. En fait, comme on ne s'attend pas à ça, comme on s'attend à un récit linéaire, on est surpris. Tes lecteurs pourront aborder plus sereinement que nous ce texte parce qu'ils sauront qu'il y a ces sauts temporels si surprenants. Quand on a compris comment ça fonctionne, ça va beaucoup mieux. Ce n'est pas difficile, c'est exigeant.

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  4. Le problème est, je crois, qu'on a tendance à confondre "exigeant" avec "difficile", voire "intellectuel" (sic) ou, pire encore, "incompréhensible".
    En oubliant que toute lecture "exige".
    Ne serait-ce que du temps.

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  5. C'est tout à fait ça. L'Odyssée se lit très bien si on prend le temps de la lire.

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  6. Pelote incroyable ce livre.
    J'ai vraiment eu la même impression que toi au début : presque chaque phrase semblait être une clef métaphorique ou interprétative de ce dans quoi on s'apprête à plonger.
    Les premiers chapitres sont de vrais trousseaux qui permettront d'ouvrir les multiples portes du labyrinthe du mensonge.
    Et tout cela est dû au narrateur, l'un des plus hallucinant et halluciné que j'ai rencontré.

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Single up all lines, Chums !