14 mai 2007

Une fugue (ou les Dernières Nouvelles d'Alsace #5)

Librairie Le Libr'air - Obernai - 4 mai 2007 - time code (j'ai entendu ça l'autre soir dans Les Experts-mais-je-sais-plus-lesquels : ça en jette, non ?) +/- 19:00

Claro attaque la lecture d'un passage de Le Tunnel, de William H. Gass, pour illustrer la musicalité de la langue.
Du coin de l'oeil, j'aperçois quelques sourires amusés [façon : ben voyons, on va te croire !]
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer le passage en question : pour l'apprécier à sa juste valeur, et donc en comprendre le titre - Une fugue - , il convient de le lire à voix haute. Vous comprendrez alors que pendant et après la lecture, les sourires béaient.
Face à la superbe trad de Claro, qui s'est empressé d'ajouter : "il faut le lire en VO, ça rend encore mieux..."
Non seulement le bougre est doué, mais il est aussi modeste.
Je vous le dis comme je le pense et comme je l'ai perçu : c'est quelqu'un de rare.
Musique, maestro :

Mon père ne voulait pas que j’aie un chien. Un chien ? On n’a pas besoin de chien. Ma mère avait fait du chien du voisin son copain, le soûlant avec le gin qu’elle versait sur les restes du repas. Va le nourrir ailleurs, disait mon père. On n’a pas besoin de chien. Mon père ne voulait pas que j’aie un chien. Le chien du voisin – ce sale clebs – il chie dans les plates-bandes. On n’a pas besoin de crottes de chien. Va au moins le nourrir ailleurs, disait mon père. Ma mère donnait du goût aux restes du repas pour son copain, le chien du voisin – ce sale clebs – en versant du gin dessus. Tu soûles ce clebs, disait mon père, mais laisse tomber, on n’a pas besoin de ce clebs. Ma mère trouvait tout meilleur une fois relevé d’une dose de gin. Ainsi ma mère fit du clebs du voisin son copain, et rendit fou papa qui ne voulait pas que j’aie un chien. Il disait toujours qu’on n’en avait pas besoin ; un chien ça chie sur les tapis, ça pose ses sales pattes sur les jambes des invités, ça aboie quand ça voit un chat ou quand quelqu’un passe la porte. Un chien ? On n’a pas besoin de chien. On n’a pas besoin de poils partout sur le canapé, de bols sales aux quatre coins de la cuisine, d’habits qui puent le chenil. Mais ma mère fit quand même du chien du voisin son copain en le soûlant avec le gin qu’elle versait sur les restes du repas comme si elle baptisait des reliques. Va au moins le nourrir ailleurs, disait mon père. Mon père ne voulait pas que j’aie de copain. Et qui c’est qui devra le sortir ce chien, hein, disait-il. C’est moi. Et quand il neigera ou qu’il pleuvra, qui c’est qui attendra au coin du terrain vague dans le vent et le froid, attendra que ce foutu clebs fasse ses petites affaires ? Pas toi, mon Billy. Bon sang, on ne peut même pas compter sur toi pour rentrer les poubelles ou tondre la pelouse. Pas de chien, donc. On n’a pas besoin de clebs ; on n’a pas besoin de crottes de chien dans les plates-bandes, de poils partout, de puces ; on a besoin que la cour soit ratissée, comme je l’ai dit ce matin. Pas d’un chien à la con. Pas de clebs pour ta mère, non plus, même si elle essaie de m’avoir en le nourrissant dès que j’ai le dos tourné, dès que je suis parti gagner l’argent de son gin pour que ce corniaud vienne lâcher sa chiasse sur les graines qu’on sème ; elle devrait au moins le nourrir ailleurs ; il traîne toujours dans le coin ; un bout de ficelle par terre ou un chiffon sur la table, est-ce que ça doit toujours traîner dans le coin ? Non. Des poils partout, des puces, des pattes sales et sa pâtée dès qu’il aboie, en plus ça pue : on n’a pas besoin d’un chien. Imagine qu’il morde le facteur : c’est à toi qu’on fera un procès ? Non. C’est moi qui attendrai au coin du terrain vague sous la pluie, sous la neige, dans le vent et le froid, qui attendrai que le chien ait fini ses sales petites affaires, aussi c’est à moi qu’on fera un procès. Pas à toi. Bon sang, on peut même pas compter sur toi pour tailler la haie. Tu sais : clic-clac. Pas de chien, donc, disait mon père. Mais nous avions quand même un chien. Ou plutôt, ma mère fit du chien des voisins son copain, et ne voulut pas qu’il soit le mien, non plus, parce qu’il la suivait partout – ouaf ouarf – pour laper son gin et flairer son pain bouffi de graisse. Aussi avions-nous un chien chez nous, même s’il ne faisait que passer, il posait sa tête blanche sur les genoux de ma mère et geignait, et mon père abaissait son journal et disait merde ! et je sortais de chez moi sans penser à tondre ou ratisser la pelouse, tailler la haie ou sortir les poubelles. Mon père ne voulait pas que j’aie un chien. Un chien ? On n’a pas besoin de chien, disait-il. Alors pas question que je trime pour rien.

- William H. Gass – Le Tunnel – traduit par Claro – le cherche midi – LOT49 – mars 2007.


Alors ? Heureux ?



La suite sous peu.

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