30 septembre 2008

FFC les archives g@rpiennes#4 : Tourmaline, Johanna Scott

Pour les rares qui lisent ces feuilles, on va remettre une couche de vous avez compris quoi.
De nouveau, retour vers le Fric-Frac Club : avril 2008
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17 avril 2008

Échos d’échos, ombres d’ombres


Sorti en début d’année, Tourmaline de Joanna Scott semble avoir suscité peu d’écho : si l’on pose une oreille contre les filaments de la Toile – d’ordinaire si prompte à s’enflammer – point de TGV (Très Grosse Vibration) à l’horizon numérique. Tout juste l’imposante et lourde locomotive Le Monde (quoiqu’en cure d’amaigrissement – ce n’est pas pour rien qu’il faut euroraquer si l’on souhaite lire sans se salir les doigts) le 8 février, le tender Culture Café le 12 mars, suivi d’un seul et unique wagon le 26 mars : Country for Old Men, de ThomZ, éminent Chum of The Club.

Ensuite : silence informatico-littéraire.

Ou presque.

[je n’ai pas concerté les Chums avant de révéler ce qui va suivre. On en reparle si besoin ?]

Parce que les coulisses du FFC ont bruissé d’une nuée de points d’interrogation : pourquoi Tourmaline au Lot49 ?

Les « pourquoi ? » de ce pourquoi, par ordre d’apparition à l’écran :

  • style très classique qui dénote avec le reste de la production de Lot49
  • très classique à part un ou deux chapitres plutôt « barrés »
  • j'aimerais demander à Claro ou Hofmarcher ce qui les a décidés à prendre ce livre pour Lot49 parce que, encore une fois, il dénote vraiment avec le reste du catalogue. Limite je l'aurais bien vu publié par Belfond…
  • pourquoi Lot 49 pour ce titre...en plus, je n'ai pas particulièrement été enthousiasmé, même si quelques éléments ont pu retenir mon attention...j'ai l'impression que pendant tout le roman on attend quelque chose qui ne vient pas....
  • pour l'instant, le début n'est pas mal, même s'il tranche nettement avec les dernières parutions du Lot49. Mais bon, ils ne pouvaient pas non plus faire leur fond de commerce avec de l'ébouriffant/décoiffant/étourdissant. Peut-être ont-ils misé sur la carte « Le temps où nous chantions » ?
  • j'ignore si c'est moi, ou le style Scott, mais j'ai le sentiment d'avancer lentement. Très lentement.
  • Énormément de descriptions poétiques de l'île d'Elbe, une certaine...langueur ?
    Trois semaines étirées sur une soixantaine de pages, puis trois mois en une page.
    Quoi que l'explication se trouve peut-être dans cette phrase : " On dirait que nous sommes sortis du temps, disait notre mère (...) "
  • Y' a pas vraiment de grosse analyse possible ou alors des trucs bateau du genre de ceux qui se trouvent sur la quatrième. (1)

ThomZ ayant déjà fait un papier [cf. supra], et étant le seul à lire si lentement que je n’ai pas (encore) osé gravir le dernier Bolaño, je me suis donc proposé d’y aller de quelques octets qu’on espèrera les moins niais possibles (c’est mal engagé).

Donc, pourquoi Tourmaline au Lot49 ?

Pour l’équilibre chimiquement instable de la narration du récit reconstitué, ainsi que le souligne ThomZ ?

Ça pourrait coller avec la déclaration d’intention du Lot49, déclaration qui, curieusement, a cessé d’exister à partir de Tourmaline. Coïncidence ? Peu importe.

Pour commencer l’année en douceur et la finir en un sprint que l’on se plait à imaginer Pynchonien ? Surtout si l’on voit un signe dans la parution, dans la foulée, du Stone Junction de Jim Dodge, préfacé par qui-vous-savez. On peut toujours rêver…

N’y aurait-il pas autre chose dans Tourmaline qui expliquerait ce choix ?


Vrai-faux roman victorien (on épargnera au potentiel lecteur de ce papier le sempiternel résumé de l’intrigue, il suffit de cliquer sur le premier lien, quelques caractères – espaces compris – plus haut) dans lequel les non-dits varient d’un narrateur à l’autre, Tourmaline transcrit un travail de mémoire entrepris par celui qui, vu son jeune âge au moment des faits, est le moins à même d’en avoir – tout le monde suit ? Et la reconstitution qu’il amorce, prend des allures de chasse au trésor. Avec un bémol toutefois :

même si nous ne trouvions pas de trésor,

nous démontrerions la valeur de nos efforts

[p.64]

L’île d’Elbe, dont les longues descriptions poétiques bercent le lecteur d’une langueur monotone, serait-elle l’île au trésor ? Ou plutôt aux trésors, tant chacun des personnages semble obéir à sa propre quête. En ce sens, Scott les définirait-elle non pas par ce qu’ils cherchent mais par le simple fait de chercher ? Par la « valeur de leurs efforts » ?

Pas seulement.

Ce serait omettre que tant Murray, le père à l’enthousiasme à géométrie variable, Claire, son épouse et mère des quatre frères (j’en compte quatre ThomZ : trois, et le narrateur) que Adriana, l’ingénieur de l’Ohio, l’historien Francis Cape, tous ne semblent révélés que par leurs zones d’ombre, les non-dits. Et lorsque la lumière jaillit, elle laisse toujours dans l’ombre ce qui serait la vérité : « Échos d’échos, ombres d’ombres »

La voix du narrateur prend alors une curieuse tonalité, assez proche, si l’on osait, d’une somme d’échos – la poésie de Claire, l’engouement girouette du père, l’insouciance et la joie des frères – somme de disparitions, d’ombres, un jeu de marelle de flaques d’ombre en taches de lumière (encore que ce qui est exposé à la lumière cache davantage qu’il ne révèle).

Ceci expliquerait l’impression diffuse de personnages fuyants, tout autant que de surprenants changements de temps :

Là où mon frère avait été, il n’y avait plus que le tracé invisible de sa forme. Puis l’ingénieur se tourna encore un peu, et Nat réapparut : mon frère, le troisième fils de Claire, un jeune garçon fou de joie car il vole haut, sans efforts, au-dessus des flots.

Des anneaux de fer cliquettent contre le mât du drapeau. Un chien aboie sur le pont inférieur. Le vent apporte le bruit d’une toux. J’entends tout cela à traves mes propres sanglots. Il s’est passé quelque chose d’effroyable, et quelque chose d’encore plus effroyable va se produire. (…)

Puis l’homme se tourna encore un peu (…)

[pp. 31-32]

Finalement, même si l’on apprend ce qui s’est passé, le doute demeure : s’agit-il de la vérité, ou d’une partie de celle-ci ? À bien y lire, entre l’ombre et les fuites de chacun – Murray fuit ses responsabilités, Claire fuit – entre autres – la vérité, Adriana s’enfuit, Cape (même Napoléon s’est enfuit de l’île…) – il se pourrait fort bien qu’existent plusieurs vérités…

S’il procure une sensation mitigée, Tourmaline laisse un curieux goût en bouche. Celui d’un roman de points d’interrogation, dont la trace demeure tenace.

à chaque moment de notre vie, notre esprit n’est pas

seulement empli de nos souvenirs, mais aussi de ce que vivent

les personnages des livres que nous lisons.

[p.72]

En ce sens, et par sa voix plurielle, insidieuse et singulière, il ne tranche pas dans la production du Lot49 : il réclame seulement d’être digéré lentement.


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(1) ces propos n’engagent que leurs auteurs, dont les pseudonoms ont été masqués pour raison de sécurité du signataire (pas si fou !)

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Pour les commentaires de l'époque, c'est par là.

La suite sous peu.

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